« David Caravaggio – un nom absurde pour toi, bien sûr...

— Au moins, j’ai un nom...

— Oui. »

Caravaggio s’assied dans le fauteuil de Hana. La lumière de l’après-midi baigne la pièce, elle éclaire les paillettes de poussière qui y flottent et le visage émacié et ténébreux de l’Anglais. Avec son nez anguleux, on dirait un faucon immobile, emmailloté dans des draps. Le cercueil d’un faucon, pense Caravaggio.

L’Anglais se tourne vers lui.

« Il y a un tableau du Caravage, une œuvre tardive, David et Goliath, dans laquelle le jeune guerrier brandit à bout de bras la tête de Goliath, ravagé par les ans. Mais ce n’est pas cela qui donne son caractère poignant à ce tableau. On pense que le visage de David est un portrait du Caravage jeune, et celui de Goliath un portrait de lui âgé, ce à quoi il ressemblait à l’époque où il a peint le tableau. La jeunesse jugeant l’âge au bout de son bras tendu. L’impitoyable regard sur notre propre mortalité. Lorsque je le vois au pied de mon lit, je me dis que Kip est mon David. »

Caravaggio s’assied là en silence, les bras croisés, il laisse errer ses pensées parmi les grains de poussière. Déstabilisé par la guerre, il ne saurait, tel qu’il est, retourner à un autre monde avec ces membres factices que promet la morphine. C’est un homme mûr qui n’a jamais pu s’habituer à la vie de famille. Toute sa vie, il a fui l’intimité permanente. Jusqu’à cette guerre, il s’est montré meilleur amant qu’époux. Il a été un homme à éclipses, comme l’amant laisse derrière lui le chaos, et le voleur la maison dévalisée.

Il regarde l’homme dans le lit. Il lui faut savoir qui est cet Anglais venu du désert, il lui faut le démasquer, par égard pour Hana. Ou, peut-être, lui inventer une peau, ainsi que le tanin protège sa chair à vif.

Lorsqu’il travaillait au Caire, au début de la guerre, on lui avait appris à inventer des agents fantômes, des leurres à qui il devait donner vie. Il avait été responsable d’un agent mythique du nom de « Cheese », passant des semaines à l’affubler d’exploits, à le doter de traits de caractère tels que la cupidité ou un goût exagéré pour l’alcool, afin d’intoxiquer l’ennemi. Comme ceux pour lesquels il travaillait au Caire inventaient des pelotons entiers dans le désert. Il avait connu une phase de la guerre où tout ce qu’on lui offrait, à lui et à ceux qui l’entouraient, n’était que mensonges. Tel celui qui, dans l’obscurité d’une pièce, imite les appels d’un oiseau.

Mais ici, ils se dépouillaient de leur peau. Ils ne pouvaient imiter autre chose que ce qu’ils étaient. La seule façon de se défendre, c’était de chercher la vérité chez les autres.

Le patient anglais: L'homme flambé
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